Des mouchards dans les jeux mobiles
Les jeux sur téléphone collectent toutes sortes d’informations personnelles à notre insu. Le chercheur en informatique Pierre Laperdrix, chargé de recherche CNRS au Centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille (CRIStAL)1 , et son équipe ont étudié cet écosystème de surveillance et son impact sur les utilisateurs.
- 1CRIStAL - (CNRS/Centrale Lille Institut/Université de Lille)
Candy Crush, Pokémon Go, Clash of Clans, Roblox… La liste est longue. Les jeux mobiles connaissent un grand succès auprès des utilisateurs. Quelle ampleur ont pris ces jeux au cours des dernières années ?
Pierre Laperdrix. En effet, cette industrie grossit énormément : il y a de plus en plus de joueurs et de plus en plus de dépenses sont effectuées sur les jeux mobiles. En 2021, on estimait qu’il y avait à peu près 2,6 milliards de joueurs sur mobiles sur la planète, avec un chiffre d’affaires de 93,2 milliards de dollars réalisé par les jeux mobiles. Cette année-là, c’était la première fois que les revenus des jeux mobiles dépassaient les revenus combinés des jeux sur PC et des jeux sur consoles. Le phénomène s’est amplifié au moment du confinement : beaucoup de personnes qui sont restées chez elles n’avaient pas forcément de consoles ou d’ordinateurs de jeux, et ont pris ce qu’elles avaient dans la main pour se divertir !
Quel est le modèle économique de ces jeux, et quel rôle y joue le tracking, l’utilisation de mouchards ?
P. L. Il existe plusieurs façons de monétiser un jeu mobile. La première, c’est la publicité en ligne : le développeur du jeu ou l’éditeur récupère un peu d’argent pour chaque publicité présentée au joueur. Aujourd’hui, c’est la méthode la plus utilisée : 95 % des jeux sur le Google Play Store sont gratuits, donc financés indirectement par cette publicité. Il existe aussi des systèmes de microtransactions : on paye quelques euros pour débloquer des items ou de nouveaux niveaux dans le jeu. Il y a aussi les abonnements, ce sont des « Battle Pass », permettant d’accéder à des contenus supplémentaires pendant quelques mois. La dernière façon, c’est que l’utilisateur l’achète.

Aujourd’hui, une grosse partie d’Internet est financée par la publicité en ligne. Et pour proposer la pub qui a le plus d’impact, celle qui favorise le plus l’achat, il faut qu’elle soit la plus ciblée possible. Une industrie énorme s’est donc créée pour profiler au mieux chaque usager et ensuite lui présenter les publicités la plus adaptées à ses centres d’intérêts ou ses habitudes de consommation. Le tracking permet de collecter un maximum de données sur lui : ce qu’il fait sur Internet, à quels jeux il joue, sa position géographique, etc. Ces données récoltées sont parfois revendues à des sociétés tierces afin d’obtenir davantage de revenus. Cet écosystème publicitaire est immense : des milliers d’entreprises collectent et s’échangent ainsi des profils. On y retrouve les Gafam mais aussi des entreprises plus locales, comme par exemple Criteo en France.