Dix-mille ans d’histoire de la forêt

CNRS le journal Ecologie évolutive, environnement et biodiversité

Depuis le Néolithique, les forêts ont vécu au rythme des activités humaines : en régression lorsque l’activité économique était intense, en expansion lorsque celle-ci déclinait. En France, les opérations de reboisement massif depuis trois siècles ont permis à la couverture forestière de s’étendre sur un tiers du territoire.

(Cet article est extrait du dossier « La forêt, un trésor à préserver », paru initialement dans le n° 16 de la revue Carnets de sciencedisponible en librairie et Relay.)

Le scénario est encore à l’état d’ébauche, mais les découvertes récentes des paléobotanistes permettent de faire remonter l’apparition des premières forêts sur Terre à environ 350 millions d’années. L’étude des bois fossilisés confirme en outre que, dès les origines, les forêts ont connu des évolutions et des dynamiques très différentes selon la nature des sols, le relief et les modifications du climat. Mais l’histoire de la forêt telle que nous la connaissons aujourd’hui, en France et en Europe de l’Ouest, remonte à la fin de la dernière glaciation, il y a 11 700 ans. « Les derniers chasseurs-cueilleurs vivaient dans un environnement ouvert de steppes faiblement boisées, un peu comparables aux grandes plaines américaines actuelles, raconte la paléo- et archéobotaniste Stéphanie Thiébault, directrice de recherche au laboratoire Trajectoires1Avec l’élévation des températures, les chênes, les ormes, les tilleuls ou les érables ont reconquis l’espace, les sangliers et les cerfs ont remplacé les mammouths et les bisons… »

Il y a environ neuf mille ans, les premières populations sédentaires venues du Moyen-Orient se sont installées sur le territoire actuel de la France avec leurs céréales, orge et blé, et leurs animaux d’élevage, moutons et chèvres. Leur mode de vie, fondé sur une économie d’agriculture et d’élevage, a changé profondément le visage de la forêt qui ne cessera plus de se modifier au fil des siècles, au gré des cycles de déforestation et de reforestation successifs. « Les groupes humains s’accroissent rapidement, ils commencent à déboiser, d’abord pour dégager des terrains agricoles, construire des habitations, se chauffer et cuisiner, poursuit Stéphanie Thiébault. Mais le bois sert aussi à fabriquer des armes, des outils et toutes sortes d’objets domestiques avant d’alimenter en grandes quantités les feux servant à produire les métaux, le bronze puis le fer. »

 Cyril FRESILLON / AASPE / CNRS Images
 L’anthracologie, l’analyse des charbons de bois, permet d’identifier des essences de bois archéologiques avant de les dater au carbone 14. © Cyril FRESILLON / AASPE / CNRS Images

Si les données manquent pour estimer avec précision la surface des forêts, la paléobotanique permet néanmoins d’en reconstituer la dynamique sur plus de dix millénaires. En plus de la dendrochronologie (l’observation des cernes de croissance des arbres) et de l’étude des pollens, l’anthracologie (l’analyse des charbons de bois) a largement contribué à étendre nos connaissances. « La combustion ne modifie pas l’anatomie du bois, explique Stéphanie Thiébault, précurseuse dans ce domaine, ce qui permet d’identifier les essences de charbons de bois, qu’on peut ensuite dater au carbone 14. » L’anthracologie montre ainsi qu’il y a six mille ans, en région méditerranéenne, le chêne pubescent s’est effacé au profit du pin d’Alep, un arbre qui conquiert des espaces abandonnés ou dégradés par le feu. Indication supplémentaire de l’exploitation de la forêt par l’homme.

Quand les Romains faisaient feu de tout bois

Le déboisement s’est peu à peu intensifié au rythme de l’accroissement démographique, jusqu’à devenir très soutenu dans la Gaule antique. L’image du pays d’Astérix couvert d’immenses forêts pluriséculaires, encore prégnante à la fin du XXe siècle, se trouve sérieusement mise à mal !

« Les données recueillies au lidar (technique de télédétection laser, Ndlr) depuis une vingtaine d’années révèlent que de nombreuses terres agricoles y étaient aménagées et que les surfaces forestières étaient plus limitées que ce que l’on croyait, et cela déjà bien avant la conquête par Jules César », souligne le géohistorien Jérôme Buridant, du laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN1 ). La prospérité de la Gaule romanisée coûte encore plus cher : l’extension des cultures, en particulier celle de la viticulture, la construction navale, la cuisson des briques, le chauffage de l’eau pour les thermes et le feu des forges consomment des millions de tonnes de bois ! La forêt du Massif central est réduite à un souvenir…

Les témoignages de Pline l’Ancien et d’autres historiens de l’époque attestent que « le manque de bois devient inquiétant et que l’on est obligé de le faire venir de plus en plus loin, indique Stéphanie Thiébault. C’est d’ailleurs à cette période que le bois prend une valeur marchande et que l’on commence à planter des arbres en vue de leur exploitation économique. » La chute de l’Empire romain, à la fin du Ve siècle, a donné heureusement un peu d’air à la forêt française. L’activité économique décline et, avec elle, les villes, les grandes propriétés isolées sont désertées, la démographie s’effondre. Partout, la végétation reprend naturellement ses droits, le chêne, le hêtre et le charme reviennent… jusqu’à la prochaine phase d’exploitation qui débute peu avant l’an mil.

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  • 1EDYSAN - UPJV/CNRS

La forêt d’Argonne, un échec de reforestation

Avec ses immenses étendues d’épicéas ravagés par la sécheresse et les coléoptères, l’Argonne, aux confins de la Marne, de la Meuse et des Ardennes, offre le triste exemple de décisions malheureuses prises dans l’urgence au XXe siècle pour régénérer les forêts. En l’occurrence, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la forêt d’Argonne était dévastée par les combats et la surexploitation. « On a décidé d’y planter massivement de l’épicéa, un arbre qui, naturellement, vit au-dessus de 800 mètres d’altitude, raconte Guillaume Decocq, botaniste au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés. On a choisi cette essence parce qu’elle pousse plus rapidement que le chêne et donne un bois de bonne qualité pour la construction. Ces arbres, pas complètement à l’aise en plaine, s’en sont sortis tant qu’ils profitaient d’un climat suffisamment humide. Mais les sécheresses répétées de ces dernières années les ont affaiblis, les rendant très vulnérables aux attaques de parasites, de champignons et d’insectes comme les scolytes qui les ont décimés. »

Contact

Jérôme Buridant
Enseignant-chercheur
Guillaume Decocq
Enseignant-chercheur