Trois lauréats en Hauts-de-France pour l'édition 2025 du programme Emergence@CNRS Chimie
Pour la huitième année consécutive, CNRS Chimie a renouvelé son soutien en faveur des jeunes chimistes en relançant l’appel à projet Emergence. L’objectif de cet appel consiste à mieux accompagner les chargés et chargées de recherche ou maîtres et maîtresses de conférences en finançant une bourse post-doctorale pour un projet novateur par rapport à l’état de l’art et en encourageant la prise de risque. Félicitations à Angel Arévalo-López, Aude Bouchet et Yassine Kadmi, lauréat·e·s en 2025 !
Angel Arévalo-López
Avec son projet 2D - AMMARETO, Angel Arévalo-López, chercheur dans l’Unité de catalyse et de chimie du solide (UCCS1 ) à Lille, est un des lauréats de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet 2D – AMMARETO vise à réunir dans un matériau unique stockage magnétique de données numériques et conduction électronique de basse dimensionnalité. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous souhaitons obtenir un matériau à mémoire pouvant se trouver dans plusieurs états magnétiques distincts pour offrir une densité de stockage de données importante, et présentant également une bonne conduction électrique intrinsèque. En effet, faire coexister au sein d’un matériau unique le stockage de données (mémoire) et leur traitement (calcul électronique) permet de réduire les interconnexions physiques nécessaires entre ces deux fonctions dans les composants de microélectronique.
Dans ce but, nous envisageons de réunir deux matériaux importants récemment découverts dans notre laboratoire. BaFe2(PO4)2, un matériau ferromagnétique Ising 2D présentant une anisotropie magnéto-cristalline géante1 , sera la mémoire magnétique. L’anisotropie magnétique gèle en effet les différents domaines ou états magnétiques à basse température, ce qui permet d’inscrire dans ce matériau n’importe quelle valeur d’aimantation en jouant sur le cycle thermique qu’il subit. La phase complémentaire envisagée est une famille de bronzes (Ba(PO4)2WmO3m-3) qui présente des propriétés de conduction électrique uniques. Les deux entités partagent un bloc structural « spacer » commun, de formule ¥[Ba(PO4)2]4-, qui assurera l’inter-croissance entre ces matériaux apportant chacun leur fonctionnalités.
En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ?
Le projet 2D – AMMARETO vise à associer deux motifs fonctionnels au sein d’un matériau unique via les entités ¥[Ba(PO4)2]4-qu’ils ont en commun. Le risque majeur est que cette combinaison ne soit pas structurellement et/ou thermodynamiquement stable. Nous ne sommes également pas certains que les propriétés de mémoire magnétique soient conservées lors de l’inter-croissance des deux matériaux. Nos études préliminaires montrent que la flexibilité chimique des entités et la « robustesse » des propriétés magnétiques devaient nous permettre d’obtenir l’objet souhaité.
Quelles pourraient-en être les principales retombées ?
2D – AMMARETO propose une plate-forme originale pour des avancées conceptuelles et technologiques en spintronique. Le projet conduira potentiellement à un nouveau paradigme sur des mémoires multiples, pour dispositifs logiques et des capteurs dotés de hautes performances et d’une bonne efficacité énergétique.
L’objectif du projet est également de tester ce qui est chimiquement possible pour aller vers une nouvelle génération de matériaux fonctionnels rassemblant plusieurs fonctions. Nous espérons également que les résultats fourniront suffisamment de preuves de concept pour répondre à des appels à propositions de plus grande envergure tels que l’ERC pour exemple.
- 1UCCS - Centrale Lille/CNRS/Univ Artois/ULille
Aude Bouchet
Avec son projet SUNSET, Aude Bouchet, enseignante-chercheuse dans le Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (LASIRE1 ), est une des lauréates de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet SUNSET vise à comprendre les processus qui régissent la conversion du rayonnement infrarouge en lumière visible par des nanoparticules à base de lanthanides. Un comportement qui intéresse l’optoélectronique, la bio-imagerie ou la biodétection. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ces nanoparticules dites « à conversion ascendante » (ou UCNP) sont capables de convertir de la lumière de basse énergie (infrarouge par exemple) en lumière de plus haute énergie comme la lumière visible ou ultra-violette. Leur excitation dans le proche infrarouge présente plusieurs avantages, comme une faible absorption par les tissus biologiques et une faible phototoxicité, ce qui en fait des candidats idéaux pour des applications biomédicales. Citons par exemple leur utilisation comme marqueurs fluorescents en imagerie médicale pour obtenir des images haute résolution avec une pénétration profonde des tissus biologiques. Ou encore en thérapie photodynamique où l’on utilise leur conversion du rayonnement IR en UV utilisés pour activer des médicaments photosensibles ou détruire des cellules cancéreuses. Les performances de ces systèmes dépendent des transferts d'énergie entre les nanoparticules et les petites molécules organiques ou biologiques qui peuvent absorber cette énergie pour produire une émission lumineuse ou déclencher une réaction chimique.
Notre projet vise à donner une description photophysique des transferts d’énergie qui se produisent dans ces systèmes après excitation dans le proche infrarouge. Cette étude sera menée à l’échelle de la particule unique en utilisant un montage de microscopie dite « confocale » conçu spécialement pour l’étude photodynamique de ces systèmes.
En quoi cette recherche est-elle émergente et à risque ?
Le projet SUNSET est basé sur une thématique émergente dans l’équipe DyNaChem du LASIRE et des résultats expérimentaux récents que nous avons obtenu sur ces systèmes. L'évaluation quantitative des transferts d’énergie au niveau de la particule unique devrait permettre de proposer une description photophysique rigoureuse de ces transferts de manière à faciliter par la suite le développement de nanoplateformes performantes à base d’UCNP et capables de photo-activer localement différents mécanismes biologiques. La complexité des systèmes étudiés, due à un grand nombre de processus physico-chimiques imbriqués qui interviennent au cours du transfert d’énergie, peut rendre difficile la quantification de chacun de ces processus. L'ambition est donc grande, tout comme la difficulté de réussir à démêler les contributions des différents facteurs responsables de l'efficacité de ces transferts d'énergie.
Quelles pourraient-en être les principales retombées ?
Ce projet sera l'occasion de confirmer et de développer cette thématique au sein de l'équipe et du laboratoire, ainsi que les compétences originales et spécifiques qui l'accompagnent. De plus, l'étude photophysique des UCNP au niveau de la particule unique, avec la possibilité d’en mesurer les spectres et les temps de vie de luminescence, est rare dans la communauté des UCNP. Ce projet apportera donc une visibilité au laboratoire et à l'équipe, grâce à l'expertise unique qu'il nous permettra d'acquérir. Il sera également l'occasion de confirmer les collaborations existantes dans ce domaine et d’en développer de nouvelles pour répondre aux besoins de compréhension des mécanismes régissant les propriétés photodynamiques de ces systèmes complexes.
- 1LASIRE - CNRS/ULille
Yassine Kadmi
Avec son projet ECOPOAT-EAU, Yassine Kadmi, enseignant-chercheur au Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement, est lauréat de l’appel à projet Emergence@INC2025. Par cet appel, CNRS Chimie accompagne des chargés de recherche ou maîtres de conférence recrutés depuis 4 à 10 ans en finançant un projet novateur et en encourageant la prise de risque.
Votre projet ECOPOAT-EAU vise à utiliser l’intelligence artificielle pour éliminer les polluants émergents dans l’eau. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’accès à l’eau potable est un défi crucial, car la qualité des eaux naturelles (de surface et souterraines) se dégrade rapidement sous l’effet des pollutions humaines. Chaque jour, des résidus médicamenteux, des pesticides ou d’autres contaminants organiques émergents sont rejetés dans l’environnement. Ces substances, parfois transformées en produits encore plus nocifs, peuvent persister dans les milieux aquatiques pendant des années. Mon projet s’appuie sur des procédés d’oxydation avancée pour dégrader ou éliminer ces résidus pharmaceutiques et phytosanitaires présents dans les effluents. Nous comptons développer une méthode simple et rapide pour analyser ces substances à l’état de traces ou d’ultra-traces, tout en évaluant l’efficacité, le coût et l’impact des traitements. En combinant statistiques, modélisations mathématiques et IA, nous espérons optimiser les paramètres de dégradation de ces polluants par des solutions à la fois efficaces et durables.
En quoi cette recherche est-elle innovante et à risque ?
Le Laboratoire avancé de spectroscopie pour les interactions, la réactivité et l'environnement (CNRS/Université de Lille) est mondialement reconnu pour son expertise dans la détection des contaminants organiques et le développement de traitements adaptés. En collaboration avec le Laboratoire de génie informatique et d’automatique de l’Artois (Université d’Artois), spécialisé en optimisation et IA, je souhaite créer un pont inédit entre chimie, technologies de dépollution et outils numériques pour explorer de nouvelles méthodologies. A moyen terme, celles-ci pourraient être transposables à l’échelle industrielle. Ce projet ambitieux mêle plusieurs disciplines pour établir des solutions viables pour la protection de l’environnement et de la santé humaine.
Quelles pourraient être les principales retombées ?
ECOPOAT-EAU permettra d’aborder la question des micropolluants organiques émergents sous leurs dimensions sanitaire, environnementale et économique. Les résultats pourraient aider à affiner les réglementations sur la qualité des eaux de surface et des effluents. Ce projet vise également à former des chercheurs, ingénieurs et techniciens, en leur apportant les compétences nécessaires pour rester à la pointe dans ce domaine. Enfin, cette approche pluridisciplinaire, associant chimie, procédés et IA, pourrait favoriser des collaborations internationales et le transfert de technologies vers l’industrie.