Vue schématique de l’installation utilisée à Stanford, couplant deux lasers de puissance (en vert) et une impulsion de rayons X produite par le FEL (en orange) © G.Stewart/SLAC

Les silicates fondus aux conditions des intérieurs des Super-Terres grâce à des rayons X et des lasers ultra puissants !

Résultats scientifiques Sciences de l'ingénierie et des systèmes

En combinant des impulsions ultra-courtes de rayons X avec des lasers de haute puissance, des chercheurs et chercheuses ont pu étudier la structure atomique des silicates liquides jusqu’à des pressions dépassant 380 GPa, des conditions analogues à celles qui règnent à la base du manteau des exoplanètes trois fois plus massives que la Terre. Ces travaux s'inscrivent dans le cadre d'une collaboration internationale impliquant l'Unité Matériaux et Transformations (UMET1 ).

  • 1UMET - CNRS/ULille/INRAE/CLI

Les planètes telluriques sont constituées de plusieurs couches concentriques, avec des silicates en surface (composés principalement de magnésium, silicium et oxygène) et un alliage fer-nickel pour le noyau. La séparation entre le métal et les silicates se produit dans les premiers millions d’années de l’existence de la planète, lorsque ces matériaux sont portés à l'état liquide principalement par l’échauffement issu de l’énergie d’accrétion. Pour mieux comprendre la différenciation et l'évolution d’une planète, il est donc crucial de connaître les propriétés physiques des silicates sous les conditions extrêmes de pression et de température régnant au centre des planètes, ce qui pose d’énormes problèmes expérimentaux. Pour les planètes telluriques de notre système solaire, les pressions peuvent atteindre 130 GPa, soit la pression à l’interface entre le manteau silicaté et le noyau métallique. En revanche, dans le cas des exoplanètes telluriques, il est nécessaire d’obtenir des informations sur les silicates liquides à des pressions supérieures à 380 GPa. Cela permettrait, par exemple, de mieux comprendre les conditions à la base du manteau d’une super-Terre dont la masse serait trois fois celle de la Terre. Malheureusement, maintenir des silicates à l’état liquide dans des expériences conventionnelles de compression statique en cellules à enclumes de diamant, à des pressions supérieures à 30 GPa puis les sonder avec des rayons X est un défi extrêmement complexe à relever. De fait, la plupart des résultats expérimentaux proviennent de l’étude de verres comprimés, utilisés comme analogues des liquides.

L’avènement de nouvelles sources de rayons X, les lasers à électrons libres (Free Electron Lasers, FEL en anglais), a permis de générer des impulsions de rayons X ultra-courtes (quelques femtosecondes) et extrêmement brillantes, notamment à l’installation LCLS (Linac Coherent Light Source) sur le campus de Stanford Linear Accelerator Center (SLAC) en Californie. Installés sur la ligne de lumière MEC (Matter at Extreme Conditions), des chercheurs et chercheuses d’une collaboration internationale1  France -Allemagne-États-Unis ont récemment utilisé des lasers de puissance pour générer une onde de choc et porter un matériau silicaté à des pressions de plus de 300 GPa et des températures de plus de 10 000 degrés. Ils ont ainsi reproduit pendant quelques nanosecondes les conditions géophysiques prévalant au centre des planètes. Malgré ce temps très court, ils ont réussi en couplant cette méthode de compression dynamique avec les rayons du FEL à mesurer le signal de diffraction associé à la structure des silicates à l’état liquide et sous des conditions extrêmes de pression et de température. Ces résultats expérimentaux ont été ensuite directement comparés avec des calculs théoriques de l’arrangement atomique des silicates liquides sous conditions extrêmes. Les scientifiques ont ainsi constaté un très bon accord entre la théorie et les expériences, confirmant ainsi que la compression s’effectue principalement sur les liaisons O-O et Mg-Si et que la structure de ces silicates liquides est très différente selon que l’on opère avec les conditions de pression régnant au sein de la Terre (ou Vénus), ou avec celles existant au centre des super-Terres, ces exoplanètes telluriques de plusieurs masses terrestres découvertes récemment en orbite autour d’autres étoiles que notre Soleil.

La combinaison des FEL et des lasers de puissance ouvre ainsi une nouvelle gamme de pressions et de températures pour étudier en laboratoire les géomatériaux dans les conditions des intérieurs planétaires. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications, dans une édition spéciale consacrée aux nouvelles expériences rendues possibles par les FEL. 

Figure : Vue schématique de l’installation utilisée à Stanford, couplant deux lasers de puissance (en vert) et une impulsion de rayons X produite par le FEL (en orange). Les détecteurs à l’arrière permettent de recueillir le signal de diffraction © G.Stewart/SLAC.
Figure : Vue schématique de l’installation utilisée à Stanford, couplant deux lasers de puissance (en vert) et une impulsion de rayons X produite par le FEL (en orange). Les détecteurs à l’arrière permettent de recueillir le signal de diffraction © G.Stewart/SLAC. 
  • 1Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS / Sorbonne Université / MNHN / IRD), Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses (LULI, CNRS / Polytechnique / Sorbonne Université / CEA), Institut des Sciences de la Terre (ISTERRE, CNRS / Université Grenoble Alpes / Université Savoie Mont Blanc / IRD / Université Gustave Eiffel), Unité Matériaux et Transformations (UMET, CNRS / Université de Lille)

Référence

Structural evolution of liquid silicates under conditions in Super-Earth interiors, Guillaume Morard, Jean-Alexis Hernandez, Clara Pege, Charlotte Nagy, Lélia Libon, Antoine Lacquement, Dimosthenis Sokaras, Hae Ja Lee, Eric Galtier, Philip Heimann, Eric Cunningham, Siegfried H. Glenzer, Tommaso Vinci, Clemens Prescher, Silvia Boccato, Julien Chantel, Sébastien Merkel, Yanyao Zhang, Hong Yang, Xuehui Wei, Silvia Pandolfi, Wendy L. Mao, Arianna E. Gleason, Sang Heon Shim, Roberto Alonso-Mori & Alessandra Ravasio, Nature Communications, publié le 3 octobre 2024.
Doi : 10.1038/s41467-024-51796-7
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