La forêt au défi du changement climatique

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Deuxième puits de carbone naturel après l’océan, la forêt est une alliée précieuse face au réchauffement climatique. Mais elle est aussi victime des sécheresses qui se multiplient et mettent en péril la santé des arbres. Plongez dans ce deuxième volet de notre série d’été consacrée à la forêt.

(Cet article est extrait du dossier « La forêt, un trésor à préserver », paru initialement dans le n° 16 de la revue Carnets de science, disponible en librairie et Relay.)

Fermez les yeux. Imaginez. Vous vous promenez dans la nature, vous respirez l’air frais et revigorant d’une forêt luxuriante. Cette sensation de bien-être n’est pas seulement due à la beauté de ce qui vous entoure. Les forêts possèdent une capacité unique : purifier l’air et réguler le climat. C’est ici, dans ce système complexe et vivant, que se joue une part cruciale de la lutte contre le changement climatique. La forêt constitue en effet le deuxième puits de carbone naturel après l’océan, et séquestre plus de 7 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) par an, soit 1,5 fois plus de carbone que ce que les États-Unis émettent annuellement !

Pour bien comprendre pourquoi la forêt constitue un puits de carbone, il faut revenir aux bases de la botanique. Une plante utilise le carbone pour se nourrir et grandir : « Elle transforme le CO2 atmosphérique par le biais de la photosynthèse, explique Hervé Cochard, écophysiologiste à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). L’énergie lumineuse captée par les feuilles vient casser la molécule de CO2 pour la combiner avec des molécules d’eau. Ensemble, elles constituent des macromolécules : les sucres, indispensables pour fabriquer la cellulose. » Parallèlement à la photosynthèse, un autre processus entre en jeu : la respiration de la plante qui est, elle, émettrice de CO2… C’est donc bien le bilan carbone global de la forêt – ce qu’elle absorbe minoré de ce qu’elle émet – qui fait d’elle un puits de carbone.

Le sol forestier, champion du stockage de carbone

Le sol forestier, ce grand oublié, joue lui aussi un rôle déterminant en matière de stockage net de carbone grâce à l’humus (matière organique en décomposition, branches, végétaux) qui s’y accumule – même si, là encore, le mécanisme est plus complexe qu’il n’y paraît car les décomposeurs du sol (vers de terre, micro-organismes) émettent aussi du CO2 en transformant cette matière organique. « Dans les forêts tempérées et tropicales, le stock de carbone du sol profond (jusqu’à deux mètres sous la surface) représente ainsi près des trois quarts du carbone stocké par la forêt, contre un quart pour la partie aérienne des arbres », cite en exemple Jonathan Lenoir, écologue au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés (EDYSAN)1 . Au total, entre 2001 et 2019, les forêts mondiales, arbres et sol compris, ont ainsi séquestré deux fois plus de dioxyde de carbone qu’elles n’en ont émis.

  • 1EDYSAN - CNRS/UPJV
Dans les forêts tempérées et tropicales, le stock de carbone du sol profond (jusqu’à deux mètres sous la surface) représente près des trois quarts du carbone stocké par la forêt, contre un quart pour la partie aérienne des arbres.

Si l’effet puits de carbone constitue l’atout majeur des forêts face au changement climatique, un autre pouvoir des arbres contribue également au rafraîchissement de notre environnement : l’évapo­transpiration. L’eau venant du sol est absorbée par les racines de l’arbre, monte jusqu’aux feuilles où elle s’évapore grâce à la chaleur du soleil. Ce processus aide à refroidir l’air, à l’image d’une climatisation naturelle. Dans la forêt amazonienne, l’évapo­transpiration est si importante qu’elle crée un phénomène de « rivières volantes » : des courants d’air humide pouvant influencer les régimes de précipitation jusque dans des régions très éloignées, y compris en zone agricole et en ville.

Lombric et sol © jbphotographylt / stock.adobe.com

Des dépérissements inédits

Problème : si les forêts jouent un rôle essentiel dans la régulation naturelle du climat, elles subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique actuel. « À l’échelle d’un siècle, on s’attend à connaître autant, voire plus de variation du climat qu’en plus de 10 000 ans », rappelle Hervé Cochard. Les arbres, comme toutes les espèces végétales, ont certes toujours eu une capacité à se déplacer, au gré des variations de température, mais la rapidité du réchauffement actuel risque de ne pas leur en laisser le temps. « L’exemple du chêne tempéré est parlant. Il y a environ 10 000 ans, à la fin de la dernière ère glaciaire, il était cantonné au sud de l’Espagne. À mesure que le climat s’est réchauffé, il a progressivement migré pour se propager dans l’ensemble de l’Europe, mais n’a pas su se maintenir en Espagne où il a été remplacé par une autre espèce, le chêne méditerranéen. » Les espèces actuelles n’ont jamais connu un changement si rapide que celui constaté aujourd’hui et les signes de leur fragilisation s’accumulent.

À l’échelle des forêts françaises, on observe déjà des dépérissements inédits, comme en forêt de Tronçais (Allier) où 15 à 20 % des jeunes chênes meurent avant d’avoir atteint la maturité, ou dans le Grand-Est où les épicéas plantés en plaine pourraient disparaître. « Toutes les essences de la forêt française (chêne, épicéa, sapin, hêtre, pin sylvestre, frêne) sont plus ou moins affectées par le climat actuel, qui est encore loin de celui que l’on aura à la fin du siècle, témoigne Hervé Cochard. On imagine les arbres comme des mastodontes que rien ne peut ébranler, mais jusqu’ici, le climat était relativement stable… » Les arbres ne sont pas invincibles, la preuve en est : leur mortalité a augmenté de 80 % en dix ans dans les écosystèmes forestiers français, selon le dernier inventaire forestier national de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN).

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Jonathan Lenoir
Écologue