En Europe, les espèces végétales migrent vers l’Ouest plutôt que vers le Nord en lien avec la pollution atmosphérique

Communiqué de presse Ecologie évolutive, environnement et biodiversité

Deux chercheurs du laboratoire Écologie et Dynamique des Systèmes Anthropisés (EDYSAN1 ), en collaboration avec 41 homologues européens, viennent de faire une découverte scientifique à contre-courant. Leur étude, publiée dans la revue Science, montre que dans les forêts européennes, la redistribution des espèces végétales en réponse au changement climatique ne se fait pas vers le Nord, mais vers l’Ouest. Un changement de cap fortement corrélé à l’excès d’azote issu de la pollution atmosphérique.

  • 1EDYSAN - UPJV/CNRS

Jonathan Lenoir, chargé de recherche CNRS, et Guillaume Decocq, professeur des universités et directeur du laboratoire EDYSAN (UPJV/CNRS) ont participé à une étude de grande ampleur dont les résultats démontrent que le changement climatique n’est pas le seul facteur responsable de la redistribution des espèces végétales.

À l’ouest, du nouveau

La majorité des études sur la redistribution du vivant en réponse au réchauffement global tend à montrer un déplacement des espèces végétales européennes principalement vers les hautes altitudes. Un comportement « logique », puisque sous l’impulsion du réchauffement global, les isothermes, des lignes imaginaires de même température, se déplacent vers les sommets des montagnes, et tendent à être poursuivis par les espèces végétales qui cherchent à conserver les conditions de température optimales à leur développement. Par exemple, en France, on a pu montrer que le gaillet à feuilles rondes (Gallium rotundifolium) a migré en altitude à une vitesse de 50 mètres par décennie entre les périodes 1905-1985 et 1986-2005. En suivant ce raisonnement, on s’attend donc à des changements de répartition des espèces plus orientés vers le Nord en latitude.

Dans cette nouvelle étude, Jonathan Lenoir, Guillaume Decocq et leurs collaborateurs ont analysé la migration, sur 4 décennies, de 266 espèces végétales des sous-bois sur 2954 placettes forestières réparties dans toute l’Europe. Leurs résultats, surprenants, montrent que plus de deux tiers de ces espèces végétales se sont déplacées non pas vers le Nord, mais vers l’Ouest, à une vitesse moyenne de 3,56 km/an.

Les dépôts d’azote atmosphériques en cause

En plus d’évaluer l’influence des changements climatiques sur les déplacements inattendus observés, les scientifiques ont testé l’impact des changements du degré de fermeture du couvert forestier, ainsi que l’effet de la quantité de dépôts atmosphériques azotés (issus des produits de combustion polluant l’atmosphère : trafic routier, chauffage, industries, etc.). 

Leurs résultats révèlent que les dépôts d'azote jouent un rôle déterminant dans ce déplacement longitudinal des espèces végétales forestières. En effet, ces espèces se développent davantage là où les dépôts d’azote restent en dessous des 30 kg par hectare et par an, un seuil au-delà duquel l’azote ne stimule plus la croissance des arbres, mais au contraire, la ralentit.

Les espèces les plus généralistes touchées

En analysant plus en détail la contribution relative des processus de colonisations et d’extinctions locales, l’équipe de recherche a également montré que ce sont surtout les espèces végétales les plus généralistes comme le cerfeuil sauvage (Anthriscus sylvestris), la véronique petit-chêne (Veronica chamaedrys), ou bien le gaillet mou (Galium mollugo), qui ont colonisé l’Ouest de l’Europe, fuyant les sols à forte concentration en azote devenus peu propices à leur développement. Ces espèces généralistes, du fait de leurs moindres exigences écologiques, ont l’avantage de pouvoir se développer dans d’autres types d’habitats que les forêts (lisières, friches, prairies), contrairement aux espèces spécialistes qui poussent exclusivement en forêt.

Ces résultats montrent que le réchauffement global des températures ne peut expliquer à lui seul les changements de distribution des espèces. D’autres facteurs environnementaux, tels que la pollution atmosphérique issue des activités humaines, doivent être pris en compte pour comprendre et anticiper la grande redistribution du vivant face au réchauffement global. 

Exemple d’espèce végétale de sous-bois : l’oseille des bois (Oxalis acetosella) qui migre vers l’ouest à un rythme de 5 km/an. Jonathan Lenoir©.
Exemple d’espèce végétale de sous-bois : l’oseille des bois (Oxalis acetosella) qui migre vers l’ouest à un rythme de 5 km/an. © Jonathan Lenoir

Référence de l’étude

Unexpected westward range shifts in European forest plants link to nitrogen depositionPieter Sanczuk, Kris Verheyen, Jonathan Lenoir, et al. Science, le jeudi 10 octobre 2024

DOI: science.org/doi/10.1126/science.ado0878

Contact

Virginie Verschuere
Directrice de la communication - UPJV